
Tu sais, on se connaît sans se connaître. On ne s’est vu qu’une fois, et puis il faisait sombre. Je dirais plutôt qu’on s’est croisés. Nous nous sommes dit au revoir avant même de vraiment nous dire bonjour. Dans la pénombre de ce passage, tout comme dans l’obscurité de ma mémoire, tes traits peinent à se dessiner. C’est peut-être différent pour toi, mais de mon côté, ça me rend créative.
Je pense à toi parfois. Je ne suis pas toujours bonne avec les mots. Je les confonds. T’imaginer me faire des choses, c’est bien penser à toi, non ? Rêver, fantasmer peut-être ? Non. Je n’ai pas envie que tu te transformes en fantasme ou en un simple rêve. Je voudrais que tu sois un souvenir. « Je pense parfois » deviendrait « je me souviens de la fois où tu as su lire mes pensées ». Rappelle-toi ce jour qui ne s’est pas encore levé, où je t’ai envoyé ce message. Notre souvenir commencera une fois de plus dans un couloir.
•
Je frappe à la porte.
Deux coups, puis un.
Tu ne tardes pas à répondre.
Un coup, puis deux.
Aussitôt, je pose mon sac sur le sol, puis je me tourne. Dos à l’embrasure, j’abaisse mes paupières. Mon cœur s’emballe, révélant mon appréhension. J’entends le clic de la serrure qui s’ouvre. Toute l’atmosphère change, comme si j’avais appuyé sur le bouton « lecture ». Tu sais, celui qui lance le film, le nôtre.
•
Comme dans toute bonne séance, la bande-annonce commence. Je te sens te mouvoir derrière moi, je perçois le bruit de tes vêtements qui se froissent. Ton odeur. Je ne la connais pas, mais je l’imaginais plus brute, moins parfumée. Elle sera bientôt plus sauvage, selon mes préférences. Je devine que tu saisis mes affaires pour les rentrer dans la chambre. Oui, c’est bien ça. Tes pas s’éloignent, me laissant, comme tu l’as souhaité, à demi nue dans le couloir.
« Non, tu frappes à la porte, vêtue comme sur cette photo, tu te souviens ? Chemise, culotte. Rien d’autre. »
Je me suis déshabillée dans l’ascenseur de l’hôtel. J’éprouve une franche déception de n’avoir croisé personne. Mais, si tu tardes, une rencontre heureuse et inopinée peut encore arriver.
Tu reviens.
•
Cette fois-ci, mon ventre se tord. Toujours cette fichue angoisse. Bien sûr qu’il y a un peu de peur, mais ce qui m’obsède surtout, c’est la rencontre de nos corps. Je porte une attention particulière à mon instinct. J’ai besoin de te voir ou de te sentir pour me connecter à la réalité, pour juger si je me sens bien avec toi, ou non.
Mon intuition est comblée depuis nos longues discussions. Celles qui se sont toutes achevées trop tôt, car, par message, tout est plus lent, moins abouti. On entretenait toujours plusieurs conversations en parallèle, comme si l’on voulait tout savoir, tout comprendre, tout découvrir de l’autre. J’ai eu envie de te rencontrer, d’habitude, j’ai envie de m’enfuir. Mais pour du sexe, mon intuition n’a que peu de valeur face à mon instinct.
« Ce sera l’instinct tactile. »
Sur mes gardes, les sens brouillés, je me rappelle que c’est ma demande. Pour l’essentiel, il s’agit de mon souvenir. Je le désire au plus haut point. J’ai envie de le faire avec toi, surtout si je dois flirter avec mes limites pour y parvenir. Danser sur la ligne blanche, au milieu de la nuit, c’est excitant, non ? Alors, j’attends. J’attends ce moment où mon corps saura, puis me guidera.
•
Ta présence devient imposante à mesure que tu approches. Je m’accroche à mon ouïe pour te percevoir. Percer à jour ton être autant que tes intentions, pour enfin te voir. Tu ne m’as désespérément pas touchée, mais je sens le rayonnement de ton corps de plus en plus nettement. Néanmoins, mon cœur ralentit un peu, peut-être parce qu’à présent, j’écoute le rythme de ta respiration.
Ta peau chaude irradie contre la mienne. Ta main remonte le long de mon bras, ce premier contact m’électrise. J’aurais quand même souhaité que tu m’effleures ailleurs. Pourquoi a-t-il fallu que tu choisisses le seul endroit paré d’étoffe ? J’aurais dû venir toute nue, comme je le voulais.
Tes doigts se nouent aux miens. Enfin. Je respire lentement, chassant tant bien que mal mon impatience. Tu m’attires à un tel point que je recule délicatement, jusqu’à buter contre ton corps. L’un de tes bras s’enroule sur mon ventre, le second autour de mes épaules. Tu serres un peu, à peine. Un autre genre de signal.
J’ouvre les yeux.
•
« Je ne veux pas te voir. Pas avant d’avoir ressenti beaucoup de plaisir. Pas avant que tu aies mal aux doigts à force de jouer avec moi. Seulement, j’ai besoin de savoir où je suis. »
Tu t’en souviens, évidemment, puisque la porte d’entrée est restée ouverte. Tu me fais pivoter d’un quart, j’aperçois la salle de bain, pleine de buée et de cette odeur. Tu sors donc de la douche. Toujours planqué dans mes angles morts, tu me guides plus à gauche. La chambre plongée dans la pénombre me plaît, surtout cette chaise dans le coin.
Nous tournons une dernière fois jusqu’à reprendre notre position de départ. Le couloir se trouve devant, prêt à accueillir la fuite de l’un de nous. Je n’ai aucune envie de m’échapper. Je veux te presser la main pour t’exprimer mon souhait de continuer, mais je n’ai pas encore le droit de te toucher.
« Comment allons-nous savoir, l’un comme l’autre, que nous sommes consentants pour la suite, si nous ne parlons pas ? »
Nous parlerons plus tard, quand l’histoire commencera vraiment. En attendant, j’attrape la poignée, comme prévu. Une brève seconde suffit pour que ta main enveloppe la mienne. Ensemble, nous fermons la porte.
•
Sans attendre, tu m’abandonnes seule dans la salle de bain, où tu as mis mon sac, mais aussi ta chemise et une brève note. En sortant de la douche, je cherche ma pochette, celle que j’ai préparée pour toi. Je la laisse en évidence, à moitié ouverte, pour qu’elle te fasse envie.
« Je te veux avec ma chemise et ta culotte souillée. »
En boutonnant sa chemise, je ne suis plus impatiente ni angoissée. Son odeur. Celle de son vêtement du jour m’imprègne un peu plus chaque seconde. Mon excitation ne fait que croître et je comprends mieux son exigence. Je me sens puissante et parfaitement à ma place, même si je suis encore une fois trop habillée. Face au miroir, mon regard semble si serein et teinté d’un désir inédit. Avec lenteur, je noue un foulard sur mes yeux.
Je suis prête.
C’est la fin de la bande-annonce.
Deux coups sur la porte, puis un.
À toi de te souvenir, maintenant.


Laisser un commentaire