
Dans l’obscurité, je me faufile sans un bruit, épargnant chacun de mes orteils, évitant même la lame de parquet qui craque. À la hâte, je me glisse sous la couette. Je grogne faiblement quand le froid des draps me saisit. Immédiatement, je me tourne, je m’enroule et je recule. Un corps rayonnant vient épouser le mien, un chuchotement me souhaite bonne nuit et un murmure me caresse le cœur.
Étendu dans mon dos, il mêle ses jambes nues avec mes extrémités emmitouflées de laine. Ses bras se resserrent, mais je remue déjà. Du bout des orteils, je me débats avec mes chaussettes pour libérer mes pieds gelés. Le contraste avec les siens est saisissant. Il soupire et son sourire s’étire dans mon cou. Il a toujours chaud, surtout quand il se blottit contre moi. Nos étreintes sont souvent écourtées, à moins de faire fondre sa chaleur avec ma peau fraîche. Au lieu de s’écarter, ses bras se resserrent un peu plus. Je me détends et m’approche de lui, fermant lentement les yeux.
— Je n’ai pas forcément envie de sexe, mais j’ai envie de toi, murmure-t-il comme une excuse.
Je ne suis pas sûre de comprendre. Sa voix me semble lointaine, étouffée par mon sommeil. Je crois que je dormais déjà. Je recule mon bassin et je la sens, elle, son envie, juste là, contre mes reins.
— Je n’ai pas envie de sexe non plus, je suis trop fatiguée…
Il relâche sensiblement la pression sur mon corps, tandis que je m’agrippe à lui.
— … mais j’ai envie de toi quand même.
Je l’imagine se marrer en silence, secouant vaguement la tête tandis que je faufile mon bras entre nous.
— Comment est-ce qu’on fait ça, chuchote-t-il, avec notre lit qui grince et ta mère qui dort exactement de l’autre côté de ce mur ?
— Facile. Ne pas faire l’amour ne devrait pas faire de bruit.
D’un mouvement un peu bancal, je glisse mon pyjama sous mes fesses, à peine, juste ce qu’il faut.
— Ne pas faire l’amour ? s’amuse-t-il.
— Tu dois seulement t’enfoncer en moi, puis dormir.
Dans mon cou, je l’entends approuver, tout en marmonnant : « Et puis dormir, facile à dire, ouais ! »
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Je le sens qui s’agite puis qui se glisse entre mes cuisses. La position n’est pas encore idéale et le lubrifiant me semble être aussi loin que l’Alaska. Il n’est pas assez profondément ancré, l’une de mes lèvres est pincée et son bassin n’est pas parfaitement au bon niveau. Mais il est brûlant, dur et imposant. J’aime cette sensation, j’adore cette connexion. Alors, malgré ma paresse, je fais l’effort de me pencher en avant, de me redresser et de me propulser vers le haut. Puis, je refoule son sexe, pour mieux être pénétrée ensuite. Bien au fond, bien au chaud.
Je gigote un peu. Pas vraiment pour le sentir en moi, mais plutôt pour retrouver le confort d’avant, mon dos collé contre son torse. Là où ses bras m’enveloppaient, où nos pieds se mêlaient et où je pouvais enfin dormir.
Nous restons ainsi, silencieusement. J’ignore ce qu’il fait. Moi, je respire lentement et je perçois mon corps entier s’abandonner, devenir lourd de sommeil, autant que mes pensées deviennent pleines de désir.
Un léger mouvement, sans doute hasardeux, provoque un premier grincement. Notre lit est bel et bien minable pour la discrétion. Puis, une idée me vient.
Je contracte mon périnée, une première fois, tout autour de lui. Juste pour voir. Rien. La structure reste muette. Lui aussi. Ça m’amuse, j’adore jouer avec lui. Je me souviens des exercices étranges que j’ai appris quelques années plus tôt. Et me voilà, de l’intérieur, en train d’abaisser une porte imaginaire autour de la queue de mon mec, de la prendre en étau par la droite et la gauche, de l’enserrer progressivement comme si une fleur se refermait sur elle. En haut, en bas, au fond, devant, partout et de plus en plus fort.
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— Tu t’amuses bien ?
Je me fige ou plutôt chaque muscle de mon vagin et de mon périnée s’immobilise.
— Tu me sentais ?
— Est-ce que toi, tu sens ça ? lance-t-il en bougeant brusquement son bassin.
Il fait râler le bois fébrile et me tire un gémissement très mal camouflé au milieu d’un rire.
— Chut !
Il me l’ordonne juste avant de me demander si je suis bien sûre de vouloir seulement dormir. J’hésite, alors je ne réponds plus. Le temps que je prenne une décision, je me repositionne en ondulant de façon langoureuse, quasi imperceptible.
Chaque fois que l’un de nous tente d’effectuer un mouvement de va-et-vient – même le plus modeste – le lit se manifeste. Ce qui fonctionne le mieux, c’est quand je le caresse de l’intérieur, en modulant les contractions ou les inclinaisons. Seulement, je me fatigue et cela devient vite insuffisant.
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Cette nuit-là, les bruits de souffrance du sommier, ceux que je n’entends plus habituellement, agissent comme une alerte. Pas celle d’être prise sur le fait, mais celle de franchir les limites de notre paresse mutuelle. Ce qui s’avère particulièrement bon, c’est de savoir qu’on partage aussi bien la même envie de l’autre que la même flemme.
À l’oreille, il me raconte qu’il pourrait m’embarquer dans la salle de bain, me pousse en avant pour que je puisse m’affaler sur la machine à laver. Qu’il me prendrait là, comme ça, au plus vite ! Je lui susurre que je me retournerais légèrement pour mater son cul dans le miroir pendant qu’il baiserait sauvagement le mien.
Il ne m’emmène nulle part d’autre que dans ses fantasmes. Et quand le sommier grince une fois de plus, nous sortons de nos rêveries. Malgré nous, nous avions augmenté l’intensité de notre danse.
Nous ralentissons le tempo sans même nous concerter, délaissant nos folies et rallumant les étoiles, prêts à sommeiller.
Quand je me sens partir loin d’ici et de nous, ses mots me rattrapent encore. J’ignore ce qu’il m’a dit, tout comme j’ignore si je dormais ou pas. La nuit, le temps se joue constamment de moi. Je sais par contre qu’il ne m’a pas quittée, qu’il demeure en moi, toujours aussi chaud et ferme.
— Tu crois qu’on va y arriver, qu’on va vraiment s’endormir comme ça ?
— Cela dépendra de toi, réplique-t-il.
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En un battement de cœur, je flingue tout de notre position pourtant si confortable. Tout ou presque. Il reste en moi, mais le plus merveilleux, c’est qu’à présent, je peux l’embrasser. Une vague de désir d’un cran supplémentaire m’incite à aller plus vite, de chasser mon sommeil pour enfin céder à notre instinct. Il me suit dans mes envies et ne dit rien. Sa langue se mêle à la mienne, mais ne s’engage pas plus. Il se contente de s’arrimer fermement à mon cul et de pousser plus fort.
Quand il recule, tout se met en branle, l’alerte retentit. Mais lorsqu’il continue, comme si, dans cet espace-temps, il pouvait s’enfoncer encore plus loin, il ne reste plus que nos gémissements, bouche contre bouche.
Portée par le plaisir, je m’imagine le faire tomber du lit et le chevaucher directement sur le parquet. Il aurait des bleus sur les reins, tandis que j’aurais des marques ailleurs. Mais la paresse, toujours elle, m’en empêche. Je me contente de lui murmurer tout ce que j’aimerais lui faire, de lui raconter toutes les caresses qu’il n’aura jamais. Du moins, pas sous cette demi-lune. Je ne compte plus les prémisses d’orgasme qui nous font frémir, mais qui s’envolent avant l’heure de grâce, par simple fainéantise.
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On s’était dit ne pas vouloir de sexe, uniquement se sentir appartenir à l’autre, le temps de nous endormir. Donc, nous continuons de ne pas faire l’amour ainsi. À l’infini. Seulement lui en moi. D’une façon, on ne peut plus nonchalante, dénuée de caresses, mais bourrée d’amour quand même. Comme si cette simple pénétration se muait en d’interminables préliminaires. Nos mouvements disparaissent avec lenteur jusqu’à devenir invisibles. Y compris pour nous-mêmes, lorsque le sommeil finit par nous éloigner.


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